Dominique-Myriam Dornier (courriel) :
Un petit tour au centre de rééducation de Kerpape, dans le Mor- bihan, remet les pendules à l’heure. On y répare des êtres gravement atteints dans leur intégrité physique, stoppés, un temps, dans leur élan vital. Ici s’effectue ce qui devient rare dans la société civile : une mise en relation des êtres, qui, de fait, dialoguent, échangent, parlent de leur mal-être ou du moment où ils ont perdu courage : la fragilité s’y dévoile, tout simplement.
Les blouses blanches circulent à pied ou à vélo dans des couloirs labyrinthiques, des regards s’échangent, des visages se tournent pour donner les infos à ceux qui s’égarent dès le premier jour. Ici, on prend le temps de se parler.
Les blouses blanches font tout pour que les patients ne cèdent en rien à la résignation, qui freinerait l’infini potentiel de guérison en chacun. Et ils mettent tout en œuvre pour que les patients refusent cette assignation à la pulsion de mort. À Kerpape, la mission des blouses blanches est de redonner feu à la pulsion de vie en chacun.
Ici, les adultes jettent un regard sidéré sur les enfants paralysés et en fauteuil roulant, coincés dans leur immobilité et qui déploient un courage, une acceptation muette et une énergie qui fouette le sang… Nous forçant à revoir à la baisse nos sempiternelles plaintes d’enfants de cinquante ans, comme disait Brel.
Adultes qui, souvent, refusent d’affronter des épreuves moindres et s’enferment dans des plaintes… Entre ces enfants, circule une énergie qui les lie, les soude et les rend évidemment solidaires. Comme si cette tragédie leur permettait de retrouver ce que nous avons tous en potentiel : de l’amour et de l’empathie. Et, surtout, cette vertu majeure qu’est le courage.
Ces tragédies qui les frappent dès le plus jeune âge, ils les affrontent en effet sans se plaindre, avec un courage muet, énergique, affirmé, éclatant. Et une solidarité silencieuse et puissante, qui devrait claquer au nez des adultes que nous sommes devenus. Kerpape, cette grande et belle sentinelle à la proue imposante, dans l’antre du bateau duquel s’affairent tous ceux qui réparent les vivants, et qui redonnent à la vie sa place centrale dans l’être humain blessé, découragé ou désespéré.
Dans l’arche de Kerpape, un nouveau monde relationnel se met en place, à l’opposé du dehors, où brutalité, froideur, et coupure entre les gens, rendent malades ou tuent. À petit feu.
Quel bonheur de constater qu’ici, de très jeunes femmes sont médecins, enthousiastes, engagées, assurant des responsabilités très lourdes ! […] Un petit séjour à Kerpape nous donne donc la mesure de notretoute-puissance. Car en pleine santé, nous possédons l’essentiel, sans être propriétaires de rien… Au moment de quitter Kerpape, petit frisson d’angoisse, les murs se dressent à nouveau entre les gens, doléances, plaintes, visages fermés butés, pas de sourire…