Au centre de rééducation de Kerpape, à Ploemeur, dans le service ergothérapie kiné-médullaire, les patients se préparent à leur retour dans la « vraie vie ». Ils réapprennent à vivre dans leur environnement, avant leur handicap.
En entrant dans le service ergothérapie-kiné médullaire de Kerpape, à Ploemeur, on entend un rire chaud et sincère. C’est Rozenn Le Besque, cadre du service, qui plaisante dans son bureau avec Michel*, un cinquantenaire en fauteuil roulant. S’il arrive de prendre une claque en pénétrant dans le centre de rééducation où sont soignés des accidentés de la route, l’atmosphère qui règne ici en aspire soudainement la lourdeur. « Avec certains patients, on se tutoie », confie Rozenn. Cela fait partie d’un tout, dans un service fortement porté sur l’accompagnement. Les ergothérapeutes de Kerpape sont des couteaux suisses sans limite. De l’environnement physique, social jusqu’au bien-être moral, « on va très loin dans la connaissance du patient et de sa sphère intime », pose l’ergothérapeute de métier. « On peut aller jusqu’à dire que ce sont des techniciens. »
L’ergothérapie est l’accompagnement du patient dans son adaptation à son environnement en prenant compte de son handicap. Réapprendre des gestes, s’entraîner à certains mouvements, développer des objets pour améliorer le quotidien, le panel est particulièrement large. Ici, Rozenn Le Besque encadre une vingtaine de personnes. Ergos, kinés, aides-soignants, ingénieurs du service modélisation 3D, etc.
« Je mets des charentaises »
« Ici, je suis chez moi. Je mets des charentaises. » Arrivée en 1988 en tant qu’« ergo », Rozenn Le Besque fait presque partie des murs. « Pour la petite histoire, j’ai commencé en 1986 ici en tant qu’aide-soignante pour payer mes études à Rennes. » Après trente ans d’ergothérapie, elle prend la tête du service il y a un an. « Ce qui me frappe chaque jour, ce sont ces patients qui vous demandent comment vous allez, alors qu’eux, sont pétris de douleur. »
Une soixantaine d’entre eux traverse le service quotidiennement. D’un tendon distendu à un homme qui ne bouge plus que la tête, « ça m’a toujours épaté, cette variation du niveau de gravité, et cette cohésion entre eux, note-t-elle. On voit les gens se battre, et certains ne sont pas batailleurs, alors ils s’épaulent. »
« Les patients nous guident »
Et chaque personne traversant ses murs y laisse une marque indélébile. « Hélène n’a plus l’usage de ses doigts. En arrivant, elle a fait une demande bien particulière : pouvoir se maquiller seule, c’était sa priorité. Donc on l’a accompagnée dans cette étape, en lui proposant une aide-technique (ce sont les outils qui s’adaptent au handicap de la personne pour lui permettre de réaliser certains gestes). Elle a appris à se mettre du mascara avant d’apprendre à manger. Les patients nous guident. »
Dans la cuisine aménagée, Jean-Pierre* coupe des tomates. Il prépare un repas pour la première fois depuis qu’il est tétraplégique. « Il faut que ça plaise à tout le monde », assure-t-il, en pointant les blancs de poulet, la crème et les champignons. Dans sa main, une aide-technique adaptée. Un couteau rattaché à son avant-bras par une lanière en scratch. Avec son ergothérapeute, Florence, ils sont très complices. « Depuis le temps qu’on se connaît, c’est sûr que ça crée des liens. » Les ergothérapeutes de Kerpape sont des maîtres d’œuvre de leur reconstruction, mais surtout des humains auprès de vies brisées.
*Les prénoms ont été modifiés.